« J'adore l'innovation, donc j'ai toujours le sentiment qu'il n'y en a pas assez » Michel Sasson, intervenant à Ionis-STM - Ionis-STM          
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L'école de la double compétence
Technologique et manageriale

« J’adore l’innovation, donc j’ai toujours le sentiment qu’il n’y en a pas assez » Michel Sasson, intervenant à Ionis-STM

À la tête de la société Sasson Conseil, Michel Sasson est un consultant reconnu en organisation et en innovation. Chaque année, il insuffle aux étudiants de Ionis-STM son goût de la nouveauté et revient sur les grandes questions liées au monde de l’entreprise auxquelles devront répondre les futurs diplômés de l’école grâce à leur double compétence.

innovation_organisation_consultant_entreprises_etudiants_cours_pedagogie_michel_sasson_ionis-stm_01.jpgVous intervenez à Ionis-STM depuis 10 ans. Pourriez-vous revenir sur le lien très fort qui vous lie à l’école ?
Ionis-STM, c’est d’abord une équipe, dirigée par Valérie Pham-Trong, qui est restée pour sa direction pédagogique la même depuis le début avec Valérie, Cécile Frankart et Marc Espie. Nous avons une chance, celle de nous être donné le droit de faire des essais. Nous avons essayé d’innover ensemble sur la pédagogie. Et l’élément le plus innovant de ce travail en commun, de cette confiance que nous avons les uns envers les autres, c’est justement cette piscine méthodologique.
Pour la mettre en place, nous nous sommes posé la question de savoir comment faire monter les élèves d’une marche en leur donnant une méthodologie. Nous partagions un même bilan, une même idée, qui était que souvent l’on donne des cours de méthodologie, sans pour autant les appliquer. Alors que les étudiants avaient souvent des notions de méthodologie, nous constations une perte forte au moment de la mise en pratique. Autrement dit, ils étaient par exemple capables d’expliquer que les objectifs devaient être « smart », c’est-à-dire spécifiques, acceptables, déterminés dans le temps ; mais leurs objectifs eux-mêmes ne l’étaient pas. Ils avaient compris la méthodologie, mais ils l’appliquaient rarement.
Là, tout l’enjeu, ce n’est pas seulement de comprendre, mais de faire, et de faire suffisamment souvent pour pouvoir intégrer et utiliser. Et ensuite, d’appliquer cette méthodologie pendant toute la scolarité au sein de l’école, puis au-delà.

Vous possédez votre propre cabinet de consulting, Sasson Conseil. Quel regard portez-vous sur le monde de l’entreprise dans sa capacité à innover ?
J’adore l’innovation, donc j’ai toujours le sentiment qu’il n’y en a pas assez. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a une tension entre deux éléments. D’un côté, la logique des entreprises est d’améliorer ce qu’elles produisent. Car on ne gagne pas d’argent en inventant toute une quantité de choses, mais plutôt en faisant un peu mieux que ce que l’on faisait l’année précédente. Ça s’appelle de l’amélioration du process. On prend moins de risques, on dépense un peu moins d’argent, mais l’on obtient un peu plus de résultats d’une façon itérative en améliorant un petit peu chaque année.

Un exemple ?
Prenons un exemple dans l’agro-alimentaire, chez Danone. De temps en temps, de nouvelles propositions arrivent, mais si l’on prend les gâteaux, celui qui marche le plus, c’est Pépito. Pépito, ce n’est pas une invention. De temps en temps, on va l’améliorer un petit peu, en proposant un nouveau packaging, un nouveau goût, mais c’est tout. Si Danone gagne de l’argent grâce à Pépito, c’est parce qu’il en maîtrise totalement la chaîne de production, que ça coûte de moins en moins cher, que l’on connaît les publics marketing et les messages qui fonctionnent. Chaque année, Pépito rapporte donc de plus en plus d’argent, tout en demandant moins d’efforts.
Si cette mécanique fonctionne de mieux en mieux, en revanche elle manque d’énergie. De temps en temps, il faut une proposition innovante. C’est là toute la difficulté des entreprises : prendre des risques. L’entreprise n’a aucune envie de prendre un risque ! Qui a envie d’essayer quelque chose qu’il ne connaît pas, en ignorant tout de son potentiel de réussite et de l’argent à investir ? Pourtant, c’est nécessaire. L’entreprise doit innover, même si en réalité elle communique davantage sur l’innovation qu’elle n’innove réellement. Les entreprises innovent tout de même, mais se retrouvent bloquées dans cette tension, entre le faible rendement de l’amélioration du process et la prise de risque causée par l’innovation pure.

Même si dans le cas d’une innovation, le rendement sera tout de même efficace à terme…
C’est ça. À terme, le rendement sera efficace, quand on se mettra à l’améliorer. Il est de toute façon indispensable d’innover, car sinon on ne raconte plus rien, et on n’a plus de projet. Simplement, on ne gagnera de l’argent qu’après avoir attendu suffisamment longtemps pour avoir un ROI, c’est à dire un retour sur investissement. L’innovation, en fait, c’est un endroit où l’on perd de l’argent ! Mais on est obligé de le faire.
Ma spécialité, c’est d’intervenir sur ces trois termes : l’innovation, la complexité et les ressources.
Nous sommes dans un monde de plus en plus complexe, avec plus de normes, plus de demandes et plus de concurrence. Le plus difficile, c’est quand on a trois données de natures différentes, par exemple des poireaux, des idées et de l’argent. Ces trois données interagissent entre elles. Chacune a une interaction sur les deux autres. Dans ces jeux de plus en plus complexes qu’ont les entreprises, on se retrouve avec une complexité qui augmente de plus en plus et des ressources qui elles stagnent ou baissent. Et finalement, l’innovation est à la fois une nécessité et une réponse à cet écart croissant entre les ressources et la complexité. On peut la rapprocher du problem solving. Ce n’est jamais facile, car le monde est tellement complexe que quelque soit la proposition faite, elle va avoir du mal à s’ouvrir et se répandre. Dans cette réalité, la meilleure méthode est de partir du terrain ou de la réalité de l’entreprise, et non pas du projet. Il ne sert à rien d’avoir un projet fabuleux et d’essayer de le vendre à une entreprise. Il faut comprendre la complexité du terrain pour faire émerger une solution.

innovation_organisation_consultant_entreprises_etudiants_cours_pedagogie_michel_sasson_ionis-stm_02.jpgOutre vos fonctions de consultant, vous enseignez également le management de l’innovation en école d’ingénieur. Pourriez-vous revenir sur les grandes lignes de cette discipline ? Quels en sont les principaux enjeux ?
L’enjeu est simple : on demande à une génération d’étudiants d’innover en arrivant en entreprise. Et quand je regarde le LinkedIn de mes étudiants, je constate d’ailleurs un volet « Innovation » ajouté à leurs capacités en tant que managers. L’enjeu premier, c’est donc de répondre aux demandes des employeurs de mes étudiants. Ensuite, il y a plusieurs façons d’innover. N’oublions pas que l’on est dans une course infinie, car chaque fois que l’on invente quelque chose, c’est repris, ce n’est donc plus nouveau…et il faut recommencer.
J’essaye dans ce cours de passer d’une vision fonctionnelle à une vision stratégique. Alors que la vision fonctionnelle répond à la question « Comment fait-on ? », la vision stratégique se demande « Quel serait le bon résultat ? Quel serait le chemin critique ? Que veut-on réellement ? ». Ne plus essayer d’être bon élève mais stratège et définir soi-même un certain nombre d’objectifs, pour ensuite essayer de trouver un chemin critique pour les obtenir.

Tout ceci en restant le plus proche de la situation de départ…
Tout à fait. Faire des choses simples, tout le monde sait le faire alors que faire des choses très ambitieuses avec très peu de moyens… ça demande un peu plus d’imagination. Ce que je comprends de l’innovation, c’est que c’est un temps qui intervient après la créativité, dont on parle par ailleurs un peu mais qui n’est pas l’enjeu. Inventer les idées, ce n’est pas mon métier et ça ne m’intéresse pas. En tant que consultant, je ne gère ni la créativité ni le déploiement. Je gère ce moment un peu difficile où il faut trouver en interne des ressources, des idées, des envies, des alliés et un chemin critique pour pouvoir obtenir le résultat que l’on recherche malgré les difficultés.
L’innovation, consiste, à partir du moment où l’on a un objectif, à savoir comment on va le transformer jusqu’au moment où l’on arrive à la gestion du projet.

Vous intervenez également dans de nombreuses conférences. Quelles sont, au cours des derniers mois, celles qui vous ont davantage marqué ou inspiré ?
Je donne des conférences pour des grands groupes, comme EDF ou Pernod Ricard, ou pour des cabinets de conseil. L’enjeu des conférences, c’est de déplacer le regard et d’ouvrir des perspectives différentes en une heure. Parmi les dernières thématiques travaillées, je me suis beaucoup intéressé à celles des imprimantes 3D et du digital. Dans le cas des imprimantes 3D, elles ouvrent les yeux sur une autre façon de comprendre la production de biens matériels. Tout d’un coup, une autre industrie est possible. C’est peut-être l’arrivée d’un nouveau cycle. Ce n’est que le haut de l’iceberg, mais peut-être que la grosse industrie, avec son temps très long de développement et sa mécanique un peu lourde, est finalement vouée à disparaître au profit d’une autre proposition de valeur : celle de l’objet unique, personnalisé ou produit en toutes petites séries, mais beaucoup moins cher. On risque d’entrer dans l’ère des réparations. La question de savoir comment les entreprises absorbent le digital dans leurs relations aux clients ou dans leur organisation interne me passionne.

Quels sont selon vous les principaux atouts de l’école Ionis-STM ?
La première qualité de cette école, c’est que la promesse est tenue. Elle propose un poste à des gens de grande qualité, parfois éloignés du marché du travail avant d’entrer à l’école, et remplit cette promesse marketing. Prenons un exemple : une personne qui a un doctorat en biologie a un niveau scientifique élevé mais qui est distancée de l’industrie pharmaceutique. L’école va lui donner des éléments marketing, des éléments de management mais aussi des éléments scientifiques liés à ce domaine. La première qualité d’une école, c’est de faire ce qu’elle dit.
La seconde qualité de Ionis-STM, c’est le fait que des gens assez différents s’y côtoient, de par leur âge, leur parcours, leurs projets, etc. Ça lui donne une certaine richesse.
La troisième qualité, et non des moindres, c’est que le recrutement de ses équipes d’encadrement est vraiment impressionnant. J’ai toujours été surpris lors de mes rencontres avec les autres professeurs de voir qu’ils étaient de vrais professionnels, d’un très haut niveau et toujours en exercice. Ce ne sont pas d’anciens spécialistes, ce sont des gens qui détiennent des postes importants et qui viennent apporter leur expertise. Enfin, la dernière chose, l’équipe pédagogique fait un gros travail de proximité avec les élèves et les intervenants afin d’améliorer chaque année l’enseignement, en cherchant toujours à anticiper sur les grands sujets de demain. L’avantage, c’est que comme les professeurs sont aussi les professionnels qui recrutent, ils sont les premiers à les informer si une compétence manque à leurs salariés en entreprise…

Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux jeunes créateurs d’entreprises ?
De se doter et de s’appuyer sur une double compétence. C’est très bien d’être fort quelque part. Par rapport à sa concurrence, il faut être en avance pour avoir quelque chose à proposer. Nonobstant, avoir une autre compétence permet de croiser les regards. Une entreprise éditée par mes anciens élèves proposait des tests ADN très rapidement et mieux que les autres. La proposition d’un point de vue scientifique et technique était excellente. Mais leur méconnaissance du marketing et du management faisait qu’ils avaient un mal fou à vendre leur proposition. La double compétence est donc une vraie chance.
Je leur conseille d’avoir – et dans leur tête et dans leur équipe – au moins deux éléments forts qui leur permettent de développer d’un côté une connaissance scientifique ou technique pour une offre de qualité, et d’autre part une connaissance du marché et des organisations afin d’être dans le réel et de donner du sens à leurs projets.

Enfin, quels sont vos projets pour la fin d’année en cours ?
Il y en a plein, et notamment de nombreux avec les écoles de IONIS Education Group. On monte une mineure d’intelligence économique à l’EPITA cette année, avec Stéphanie Monsenego. Je travaille également beaucoup pour l’Epitech Innovation Hub que nous avons monté l’année dernière. On est en train de le rapprocher des starts-ups. Et pour le reste… vous verrez !

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