« On dit que l’entrepreneuriat sur Internet est plus facile, mais c’est faux »          
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L'école de la double compétence
Technologique et manageriale

Paul Morlet : « On dit que l’entrepreneuriat sur Internet est plus facile, mais c’est faux »

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Pour son Rendez-vous de la double compétence du lundi 7 novembre 2016 consacré à l’audace entrepreneuriale, Ionis-STM invitait Paul Morlet, l’homme qui se cache derrière les marques LuluFrenchie et Lunettes Pour Tous.

Anciens, étudiants et professionnels s’étaient réunis en nombre sur le campus de l’école pour en savoir plus sur cet entrepreneur français de 26 ans au parcours pour le moins atypique. « Aujourd’hui, il y a un effet de mode : tout le monde veut lancer sa start-up. Moi, si j’ai créé ma première boîte en 2010 (LuluFrenchie), ce n’était pas pour suivre cette mode, mais simplement parce que je ne trouvais pas de travail. » Après une scolarité assez « chaotique » qui l’empêcha d’intégrer le lycée, Paul fut dirigé vers un BEP électricien… par son professeur d’EPS et « sans avoir le choix ». Le début d’une période de doute. « Je suis alors rentré à la SNCF en alternance à l’âge de 18 ans. Sur place, on m’a clairement dit que cette alternance ne servait qu’à alimenter les quotas : peu importe mes performances, l’entreprise ne me garderait pas à la fin. On a connu mieux comme discours motivant… » Son BEP en poche deux ans plus tard, Paul se retrouve alors « sans boulot ». Plutôt que d’accepter sa situation et « la crise », il s’inspire de ses amis qui, en école de commerce, rêvent à d’autres ambitions. Voilà pourquoi, en 2010, il décide de se mettre à son compte. Armé d’un petit pécule et d’une bonne dose de culot, il se lance. Un essai qui s’avérera gagnant. « J’ai l’idée de vendre des lunettes de soleils personnalisables avec des images ou du texte sur des verres équipés de petits trous, qui ne gênent pas la vision. J’avais mis 3 000 euros là-dedans, toutes mes économies. J’étais dans une situation de risque, mais cela n’a fait que renforcer mes convictions : j’y ai cru super fort. »

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Une campagne de com’ intelligente et à moindre frais

Les premières semaines, l’activité de l’entreprise est plutôt lente. Pas de quoi décourager le jeune entrepreneur. Rapidement, une intuition géniale va tout changer. « Je me suis dit que mon produit allait être porté par les stars américaines, pas les habitants de Lyon, ma ville. J’ai alors commencé à « spammer » 400 comptes Twitter de stars, via un outil permettant de faire 50 tweets par jour, le tout pour zéro euro. J’envoyais une photo des paires de lunettes, avec un message du genre « Hey, I made this for you ». » Rapidement, Paul reçoit des réponses des managers des célébrités contactées lui demandant des exemplaires des lunettes. De Snoop Dogg à Will Smith en passant par David Guetta et Lady Gaga, nombreuses seront les stars qui se prendront en photo avec une paire LuluFrenchie. Photos que se pressera de relayer Paul sur la page Facebook de sa marque. Une opération de communication intelligente et gratuite qui allait définitivement faire parler de l’entreprise. « La presse a commencé à en parler, la télé aussi. Puis des grandes entreprises ont commencé à nous contacter pour mettre leur nom sur des lunettes. Les demandes devenaient importantes, nous demandions un acompte avant de lancer la production. C’est comme ça que nous avons pu nourrir notre trésorerie au fur et à mesure. Le moment décisif sera l’obtention de notre premier gros client, Ricard SA, qui voulait faire une opération sur toute l’européen pour une marque de vodka. Un contrat de 800 000 euros. Leur acompte de 50 % nous a permis de nous structurer. »

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De la suite dans les idées
L’aventure entrepreneuriale de Paul Morlet ne s’arrête pas là. En 2013, alors que LuluFrenchie continue de prospérer, le jeune homme fait le point. « Je me suis dit que lever des fonds ne servirait à rien pour l’entreprise. Je voyais le marché stagner et, force d’avouer, que je commençais aussi à m’ennuyer un peu là-dedans. » La suite tient en partie d’une rencontre fortuite. Alors qu’il se trouve dans avion pour se rendre en Chine auprès de l’un de ses fournisseurs, le Français fait la connaissance d’un cadre d’une très grande marque de verre pour lunettes. Ce dernier, en train de travailler sur un tableau Excel, lui donne une information précieuse. « Sur son tableau se trouvaient les coûts des verres sous-traités en Chine. J’apprends alors que le « super verre » anti reflet et anti rayure coûte seulement 2 euros alors qu’on le paye 500 euros en France ! Il m’explique que cette hausse s’explique par le nombre d’intermédiaires et par l’importante quantité d’opticiens qui doivent faire de la marge en vendant seulement deux paires de lunette en moyenne par jour. »

Innover ce qui existe déjà
L’info digérée, Paul se met à repenser l’achat de lunettes. « Les prix sont élevés, sans parler de l’attente pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmo en amont et de l’analyse des nombreuses offres des opticiens. Au final, le client a toujours l’impression de ne jamais faire une bonne affaire… » Pour changer cet acte d’achat « long et fastidieux, comme quand on achète une voiture », l’entrepreneur développe Lunettes Pour Tous et ouvre sa première boutique à Paris, en 2014 : un concept de « libre-service », où les lunettes sont fabriquées « sur place » et en « 10 minutes » avec un test de vue réalisé en boutique, sans rendez-vous. Un véritable game changer. « Notre approche est différente de celle des opticiens traditionnels. Nous nous sommes demandés combien de lunettes il fallait vendre pour combler les charges. Nous voulions vendre pas cher, mais beaucoup, pour continuer à vendre. Le premier mois, nous comptions vendre 200 paires, 15 fois moins chères. Nous avons eu 500 clients rien que la première journée. » Paul constate alors qu’il vient de changer le marché de l’optique. « Parmi nos clients, on trouve aussi bien des gens touchant le RSA, attirés par les prix, que des grands patrons, attirés par la rapidité du processus. Nous n’avons pas cassé le marché des opticiens, mais l’avons simplement ouvert, en multipliant la consommation de lunettes, un produit qui avait le potentiel pour devenir un achat hyper fréquent. »

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Le (bon) sens des affaires
Si aujourd’hui LuluFrenchie perdure et Lunettes Pour Tous représente trois magasins (six d’ici la fin 2016) pour 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, cela s’explique par le bon sens si cher à leur créateur. « Avoir du bon sens dans les affaires, ça marche. Essayer, échouer, recommencer et ça ira pour vous. La qualité d’un entrepreneur est de voir les problèmes pour les résoudre tout de suite. Quant à l’idée derrière la création d’une entreprise, elle doit être bonne, dans le sens où elle tend à répondre à une demande, à une frustration personnelle et collective, pour créer une valeur ajoutée. En agissant ainsi plutôt qu’en vous contentant de copier ou d’adapter un concept existant, vous éviterez de vous casser la figure. » Selon lui, les futurs entrepreneurs doivent aussi se méfier des beaux discours propres à Internet. « On dit que l’entrepreneuriat sur Internet est plus facile, mais c’est faux. Si on ouvre une boutique, la concurrence est locale, plus petite. Sur Internet, elle est mondiale, avec des géants qui n’ont pas peur de perdre de l’argent pour vous assécher, à l’usure. Aussi, si le loyer d’une boutique peut paraître élevé, avec 10 000 euros mensuels par exemple, dites-vous que celui que vous demandera Google pour être en tête de liste face aux géants pourra représenter cette somme multipliée par 100. » Un dernier conseil ? Ne jamais oublier pourquoi on devient créateur d’entreprise, notamment quand une offre de rachat pointe le bout de son nez. « Quand tu es entrepreneur, tu vois ta boîte comme ton bébé. Quand on te propose de la racheter, si tu penses que la personne en face sera plus apte que toi pour la faire grandir encore plus, tu peux accepter. Sinon, il vaut mieux refuser. » D’autant que le monde des affaires n’est pas un jardin d’enfants. « Trois mois après le lancement de la boutique Lunettes Pour Tous, alors que nous n’étions encore rien, nous avions reçu une très belle offre de rachat, non pas pour développer le concept, mais pour le couler ! » Un bon entrepreneur doit donc garder l’œil ouvert. Et porter des lunettes si le besoin s’en fait sentir.

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